Acteurs du monde agricole : réduire les besoins en irrigation et faire évoluer les pratiques
Face aux défis climatiques et à la pression croissante sur les ressources hydriques, la sobriété en eau devient une priorité pour le monde agricole. Réduire ses besoins en irrigation et faire évoluer ses pratiques sont des leviers essentiels pour préserver ce patrimoine commun, cette ressource vitale, tout en maintenant la productivité des exploitations.
En adoptant des techniques innovantes et une gestion raisonnée, le monde agricole peuvent relever le défi de la sobriété en eau tout en assurant sa pérennité face aux enjeux climatiques et environnementaux.
La transition vers une agriculture sobre en eau nécessite un changement profond des pratiques, mais elle offre aussi de nombreux bénéfices :
- Environnementaux : Préservation des écosystèmes aquatiques et réduction du stress hydrique local.
- Économiques : Diminution des coûts liés à l’irrigation et amélioration de la compétitivité grâce à une gestion optimisée.
- Sociaux : Renforcement du rôle des agriculteurs comme acteurs clés de la protection des ressources naturelles.
Pourquoi réduire ses besoins en irrigation ?
Avec des sécheresses de plus en plus fréquentes et des restrictions accrues, réduire les besoins en irrigation devient essentiel. Adopter des pratiques plus sobres en eau est un levier clé pour une agriculture durable et performante. En réduisant leurs besoins en eau, les acteurs du monde agricole verront des avantages significatifs :
- Préserver les ressources hydriques : limiter les prélèvements protège nappes phréatiques et cours d’eau fragilisés.
- Renforcer la résilience des exploitations : moins dépendre de l’eau permet de mieux faire face aux aléas climatiques.
- Réduire les coûts : une consommation moindre diminue les dépenses liées au pompage, au transport et à l’entretien des équipements.
Comment réduire sa consommation ?
Pour mettre en œuvre la sobriété, plusieurs solutions techniques et stratégiques existent pour les acteurs du monde agricole.
1. La micro-irrigation : une précision au service de l’efficacité
La micro-irrigation, comme le goutte-à-goutte ou l’irrigation localisée, permet de délivrer l’eau directement au niveau des racines des plantes, évitant ainsi les pertes par évaporation ou ruissellement. Ses avantages incluent :
- Une réduction significative de la consommation d’eau (jusqu’à 50 % par rapport à l’irrigation traditionnelle).
- Une meilleure absorption par les cultures grâce à un apport ciblé.
- Une adaptation facile à différents types de cultures, notamment maraîchères et arboricoles.
2. Modernisation des infrastructures hydrauliques
Investir dans des systèmes modernes permet d’améliorer l’efficacité de l’irrigation :
- Automatisation : les systèmes connectés permettent de contrôler précisément les volumes d’eau utilisés et de programmer les irrigations selon les besoins réels des cultures.
- Réduction des fuites : remplacer ou entretenir les canalisations vétustes limite les pertes d’eau inutiles.
- Stockage optimisé : localement, en fonction des conditions hydrologiques, des milieux et des usages, la création de retenues collinaires ou de bassins de stockage peut éventuellement permettre de capter l’eau en période pluvieuse pour la réutiliser en période sèche.
3. Choix judicieux des cultures
Adapter ses cultures aux conditions climatiques locales est une stratégie clé pour réduire ses besoins en irrigation :
- Privilégier des espèces moins gourmandes en eau (exemple : céréales adaptées aux climats secs).
- Favoriser les variétés résistantes à la sécheresse développées grâce à la recherche agronomique.
- Diversifier les cultures pour améliorer la résilience globale du système agricole face aux aléas climatiques.
4. Gestion raisonnée de l’irrigation
Adopter une approche scientifique et raisonnée dans la gestion de l’irrigation permet d’optimiser chaque goutte utilisée :
- Utiliser des outils comme les sondes tensiométriques ou capteurs d’humidité pour évaluer précisément les besoins en eau du sol et des plantes.
- Irriguer uniquement lorsque cela est nécessaire, selon le stade de développement des cultures (par exemple, pendant les périodes critiques comme la floraison).
- Recourir à des logiciels d’aide à la décision qui intègrent météo, type de sol et besoins spécifiques des cultures pour planifier efficacement l’irrigation.
Face aux enjeux de l’eau, le GABB Anjou et les Producteurs Bio montrent l’exemple
Ce projet est né durant l'été 2022, le plus chaud et sec jamais enregistré en Anjou. Un groupe d'une dizaine de productrices et producteurs biologiques a sollicité le GABB Anjou, Groupement des agriculteurs biologistes & biodynamistes du Maine-et-Loire, pour se mobiliser face à l’enjeu de la disponibilité en eau, conscients du fait que cet enjeu risquait de s’aggraver fortement pendant les prochaines années.
En septembre 2022, ce groupe appelé « Eau et bio en Anjou » se réunit plusieurs fois pour établir un projet collectif. Un programme d’actions pour les trois années à venir est posé. Il abordera l’eau sous les angles quantitatif et qualitatif, deux problématiques complémentaires et indissociables.
Mélanie Bonsergent, Co-Présidente du GABB Anjou :

© GABB Anjou
« L’hiver 2022-2023 a conforté l’intérêt de travailler sur l’accès à l’eau en agriculture biologique. Au 16 mars 2023, le débit de la Loire était à 350 mètres cubes par seconde contre 1 400 à la normale en cette saison. Et qui dit baisse du débit, dit baisse de la dilution et augmentation de la teneur en polluants avec des conséquences importantes en termes de potabilité de l’eau prélevée pour la consommation humaine et d’impact sur le milieu naturel. Or l’agriculture biologique n'utilisant pas de molécule chimique de synthèse, elle ne pollue pas les masses d'eau. Il nous paraît donc essentiel de relier les enjeux de qualité et de quantité tout au long de notre projet. Nous souhaitons à notre échelle, contribuer à l’atteinte de l’objectif de la Directive cadre sur l'eau projetant un bon état des masses d'eau d'ici 2027. »
Le Maine-et-Loire est un département qui est confronté à de vrais problèmes de qualité des eaux de surfaces comme souterraines. Des pollutions diffuses sont retrouvées dans l'eau, comme dans le Layon, l'une des rivières les plus polluées de France pour ce critère. Une grande majorité des fermes du groupe « Eau et bio en Anjou » est localisée dans ces territoires à forts enjeux eau.
Il apparait aujourd’hui que la disponibilité en eau est de plus en plus problématique due aux sécheresses hivernales. En 2022, on observe en France une hausse des températures de +1,4 à +1,7 °C, ce qui, à raison de +7 % de vapeur d’eau supplémentaire par degré, traduit un transfert d’eau vers l’atmosphère au détriment de l’eau bleue disponible sur terre, accentuant les contrastes climatiques : augmentation de la sécheresse par évapotranspiration accrue et intensification des précipitations extrêmes. Il convient donc de trouver des techniques permettant de réduire le besoin en irrigation tout en infiltrant un maximum d’eau dans les sols. Il s’agit également de partager l’eau à l’échelle territoriale. C’est en effet ce qui est en cours sur le SAGE Layon avec la mise du PTGE ou le GABB Anjou participe au COPIL, on retrouve cette démarche sur l’Oudon ou encore d’autres bassins versant. Le travail réalisé par le groupe permettra d’éclairer les discussions publiques sur ce sujet.
Axel Dusser, animateur technique en production végétales spécialisées :

© GABB Anjou
« L’enjeu quantité réside surtout dans le fait d’avoir toujours un débit de Loire suffisant pour prélever l’eau potable. Lorsqu’il n’y a plus assez d’eau pour prélever ce n’est pas qu’il n’y a plus d’eau qui coule dans le fleuve mais que l’eau est trop polluée et que nous n’avons pas les moyens de la rendre potable sans la diluer avec une eau moins polluée venant d’ailleurs. Si toutes les exploitations agricoles étaient en bio, la question de la quantité se poserait bien différemment. Il paraît donc plus que jamais indispensable de développer l’agriculture biologique et de transférer ces pratiques vers l'agriculture chimique pour relever les défis que le bouleversement climatique amène. »
Le GABB Anjou participe à la construction de démarches territoriales, à la mise en place et à la réalisation des actions. Sa mission : sensibiliser aux techniques de l'agriculture biologique et les diffuser pour diminuer l'impact de l'agriculture sur la qualité des eaux.
Face aux défis hydriques, l’agriculture sans intrant, une voie vers la robustesse
Ce collectif a pour ambition d’améliorer les pratiques des fermes du groupe et d’étoffer les connaissances sur les sujets suivants :
- En quoi l'agriculture biologique offre-t-elle une réponse efficace au déficit d'eau actuel et à venir tout en maintenant une production alimentaire répondant aux besoins des territoires ?
- En quoi une irrigation maitrisée rend l'agriculture biologique résiliente ?
- En quoi la gestion collective de l'eau améliore-t-elle la préservation de la ressource sur les plans quantité et qualité ?
Pour la mise en place et le suivi d'expérimentations, et en lien avec l'Institut technique de l'agriculture biologique (ITAB), la Coordination agrobiologique (CAB), l’Institut national de la recherche agronomique (INRAE), les problématiques suivantes sont étudiées :
- En quoi l'agriculture biologique peut-elle diminuer les besoins en eau des cultures ?
- La valeur ajoutée des exploitations est-elle à mettre en corrélation avec la disponibilité en eau ?
- Quels liens peut-on observer entre irrigation et l’indicateur de fréquence de traitements phytosanitaires (IFT). L'irrigation influence-t-elle l'IFT, et si oui, de quelle manière ?
Par différents moyens, tels que des formations avec des experts, des rencontres techniques, des échanges de pratiques inter-groupe (30 000, DEPHY, GIEE…) le projet consistera à sécuriser les systèmes sans intrant et augmenter leur robustesse face au bouleversement du cycle de l’eau.
Il consistera également à affiner les techniques biologiques en matière de gestion de l'eau.
Vincent Favreau, Référent eau au GABB Anjou :

© GABB Anjou
« Il s’agira d’informer largement sur ces techniques, tant par des interventions en classes que par la création de guide ou encore de journées de restitution de type « Les Bio Pratiquent ». Nous apporterons aussi des connaissances solides aux projets collectifs auprès des Sage, des syndicats de bassins versants ou encore au comité de bassin Loire-Bretagne. Au terme du projet, nous pourrons démontrer la robustesse de la bio et diffuser nos résultats auprès des exploitations conventionnelles afin de partager cette pratique de l’agriculture. »
Affiner les techniques d’irrigation, repenser les pratiques agricoles
Les objectifs du groupe « Eau et bio en Anjou » prennent en compte la protection de l’environnement, la résilience face au changement climatique, le maintien d’une activité économique viable et l’augmentation de la souveraineté alimentaire locale des territoires.
Les performances agroécologiques des fermes du groupe sont hétérogènes. Il s'agit pour certaines de conserver leur système en le rendant plus efficient, notamment en affinant des techniques d’irrigation. Pour d'autres, d'envisager une reconception plus globale de leurs pratiques. Et cela, en visant trois grands objectifs : économiques, environnementaux et sociaux.
Objectifs économiques
Dans un contexte de bouleversement climatique, il est essentiel de maintenir des rendements agricoles satisfaisants afin de garantir l'approvisionnement des débouchés et d'assurer un revenu durable aux agriculteurs. Cela passe par le développement de cultures et de pratiques agricoles nécessitant peu ou pas d’irrigation, tout en optimisant l’utilisation de chaque mètre cube d’eau consommé. Par ailleurs, renforcer les liens entre les membres du groupe facilite la mise en place de partenariats commerciaux entre les fermes, favorisant ainsi la coopération locale. Enfin, il est crucial de concevoir ou de repenser des modèles agricoles capables de supporter les variations des pluviométries, pour pérenniser la production dans un environnement en mutation.
Objectifs environnementaux
Pour protéger les ressources en eau et préserver les écosystèmes, il est essentiel d'adopter une gestion responsable. Cela passe par une utilisation sobre de l'eau en agriculture, en limitant la consommation au strict nécessaire. Il est également crucial de ralentir le cycle terrestre de l’eau afin de favoriser son infiltration dans les nappes phréatiques et de maintenir des milieux naturels vitaux comme les zones humides, les cours d’eau et les mares. Enfin, la qualité de l’eau doit être préservée et améliorée, notamment pour la faune aquatique, grâce à la promotion des pratiques issues de l’agriculture biologique.
Objectifs sociaux
L'objectif est de favoriser les échanges entre producteurs sur leurs pratiques et les défis liés au changement climatique, tout en accompagnant les jeunes agriculteurs et porteurs de projets vers des systèmes agricoles plus résilients et en constante adaptation face aux scénarios climatiques futurs. Il s'agit également de contribuer aux concertations territoriales en apportant des données techniques sur l'agriculture biologique, notamment à travers la participation à divers comités et projets (PTGE du Layon, études HMUC, comités sur la ressource en eau). Parallèlement, une sensibilisation du grand public à la préservation de la ressource en eau, tant en qualité qu'en quantité, est essentielle. Enfin, ces actions visent à garantir le maintien de la disponibilité en eau potable pour tous.